Projet exploratoire CARIBOU (2022 - 2023)

CARIBOU : CirculARIty of the Bakery prOdUction

CARIBOU réunit à la fois des sciences SHS et de l’évaluation environnementale et des technologues pour accompagner le développement des filières de valorisation de résidus de pain en ville.

Contexte et enjeux

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Les pertes et gaspillages alimentaires en France ont été estimés à 20-30% de la production [1,2]. Ces pertes se distribuent tout le long de la chaine qui s’étale de la production à la consommation, avec 35% cumulés aux étapes de transformation et de distribution tous types de produits alimentaires confondus [3]. La loi Garot 2016 a introduit une obligation de diminution progressive de la quantité de pertes et d’invendus alimentaires et une obligation de leur valorisation selon une hiérarchie privilégiant en premier lieu l’alimentation humaine (prévention du gaspillage, don aux associations caritatives, ré-emploi dans la fabrication de produits alimentaires, sur place ou non), puis l’alimentation animale, avant le compostage ou la production d’énergie. On peut constater que la priorité à l’alimentation humaine y est forte (« food first »), et souvent justifiée comme minimisant aussi l’empreinte environnementale des produits [1,2].

Objectifs

Notre objectif général est de mener des recherches qui accompagnent le développement de la circularité de la filière de panification d’un point de vue socio-économique, organisationnel et technologique, et qui éclairent, voire interrogent, aussi la hiérarchie réglementaire des usages des RIP. Il vise en premier lieu à mieux caractériser les flux de ces RIP et surtout leur spécificité territoriale. Cette étape est cruciale pour poser les questions de recherche les plus pertinentes dans le cadre d’une future recherche-action. CARIBOU ambitionne une réflexion sur le modèle économique le plus approprié, pour permettre la coexistence de plusieurs usages, en particulier ceux à forte fonction sociale (don aux associations caritatives, synergies locales créatrice de lien sur le territoire). Enfin, CARIBOU s’inscrit dans la lignée du questionnement de la hiérarchie des usages, telle préconisée par la réglementation en vigueur (loi GAROT 2016), et part du besoin de contextualiser les usages avant d’en définir une hiérarchie. L’objectif est d’en tester les conditions premières de faisabilité pour en poursuivre éventuellement le développement dans un futur autre projet.
Trois actions de recherche ont été définies pour le projet CARIBOU :
1 - Asseoir l’estimation des gisements de RIP disponibles, et en connaître les déterminants, de manière à mieux piloter leur éventuel futur changement
2 - Explorer la faisabilité de voies de valorisation innovantes.
3 - Préparer la construction de schémas d’organisation future des filières potentielles de valorisation des RIP, à la fois respectant voire facilitant la fonction sociale (dons, synergies locales) et répondant aux besoins des territoires sur lesquels les RIP sont produits.

Avancée et résultats

  • Une analyse de la littérature sur 2016-2022 a montré que pour cette bioressource, les articles couvrent l’ensemble des valorisations envisageables et listées dans la hiérarchie réglementaire. Un travail de formalisation de la revue de littérature scientifique sur la valorisation des RIP sur la période 2016-2023 a été nouvellement soumis à Journal of Industrial Ecology en Octobre 2024. Ce travail a confirmé de manière quantitative que si l’effort de recherche était porté sur l’ensemble des voies de valorisation pour ce substrat,  il était déséquilibré par rapport à la hiérarchie recommandée par la réglementation (chiffrage sur la base d’une proportion d’articles par type de valorisation sur la période). CARIBOU a permis de s’interroger sur les critères qui devaient nourrir le choix du décideur vers une valorisation.  De manière tranchée par rapport à la période précédente, il a été constaté un effort de recherche en lien avec l’intention initiale du produit étudié (prévention et recyclage pour l’alimentation humaine). Ce dernier résultat a été déterminant dans l’orientation prise pour le dépôt ANR AAPG 2023 (µCosmos). Enfin, CARIBOU a souligné que l’étape de prévention pouvait cacher une partie de l’impact (cas où le producteur de RIP ne s’en défait pas et mobilise sur site des actions basses de la hiérarchie) et que le rendement de l’opération de valorisation était trop souvent éludé dans les recherches publiées jusqu’ici (bioraffineries en particulier). Cette réflexion a orienté le positionnement de la tâche 2, avec par exemple l’exploration d’une fermentation des RIP sans stérilisation et sans inoculation.
  • CARIBOU a aussi exploré les voies de valorisation par voie fongique ou mixte (levure/ bactérie), avec une réflexion de sobriété du procédé (sans stérilisation ou/et sans extraction). 
    L’étude bibliographique avait mis en évidence que, la majorité des voies décrites dans la littérature sont mises en œuvre par des souches pures qui exigent le plus souvent de stériliser le milieu et de mettre en place une étape finale de purification souvent complexe pour extraire la molécule d’intérêt. L’ensemble de ces contraintes pénalise économiquement les filières et très peu de cas de production de molécules d’intérêt à l’échelle industrielle sont décrits. La consommation d’énergie pour la stérilisation des RIP, la complexité des technologies mises en œuvre, la gestion des résidus liés au faible rendement massique de la production limitent l’intérêt environnemental de l’utilisation de RIP pour la production de molécules d’intérêt. Les premiers essais menés à OPAALE-PANDOR ont montré que quel que soit le type de pain (pain complet, baguette de farine blanche ou pain de mie longue conservation) et les conditions de stockage, la fermentation butyrique domine dans 7 configurations sur 9. Dans les deux autres cas la fermentation s’est plutôt orientée vers la voie malolactique Les molécules secondaires produites étant les acides acétiques et succiniques. L’acide butyrique a des propriétés anti-inflammatoires reconnues et de nombreux travaux sont en cours pour évaluer le bénéfice santé d’apport de cet acide. 
    Trois souches de la collection du Centre International des Ressources Microbiennes –Banque de Ressources Fongiques de Marseille ont été ciblées, parmi des espèces réputées comestibles (Agaricus bisporus, Lentinula edodes et Pleurotus ostreatus,). Sur la base d’observations macroscopiques des cultures (vitesse de colonisation et densité), la souche Pleurotus ostreatus, BRFM 1326 a été sélectionnée. Le profil des acides aminés et les analyses compositionnelles des fibres alimentaires totales de l’échantillon de pain colonisé par le champignon en comparaison au pain témoin ont montré un bénéficie nutritionnel apporté par la culture fongique. La quantité de fibres alimentaires insolubles et amidons résistants a notamment plus que doublée.
  • Les flux de RIP, par voie de valorisation en local, et avec leurs déterminants ont été étudiés par le biais d’enquêtes auprès des acteurs de la boulangerie (boulangerie artisanale (BA), boulangerie industrielle ou semi-industrielle) ou de de la distribution (superettes et GMS) et des associations caritatives sur Rennes Métropole (RM) et sur Plaine Commune (PC) en région parisienne.
    • La moyenne et grande distribution (GMS) s’est révélée difficile d’accès. Une vingtaine d’enquêtes au total sur les deux territoires ont été menées, auprès des responsables de rayon le plus souvent. Il a pu être constater que la GMS cherche d’abord à prévenir la perte (promotion en lots car gestion financière à l’échelle des rayons), puis sollicite la collecte biodéchets (loi AGEC gros producteurs). Les résultats sur les acteurs de la distribution sont convergents sur les deux territoires.Sans surprise, les supérettes, souvent non concernées par la réglementation (obligation du tri des biodéchets, conventionnement du don alimentaire), jettent en quasi-totalité aux ordures ménagères (demain à une collecte biodéchets).
    • Au vu des premières enquêtes auprès des associations caritatives et de manière marquée sur Plaine Commune, le pain ne semble pas un produit alimentaire central pour l’aide alimentaire, ce qui explique que ce soit une voie de valorisation mineure en GMS. 
    • Le pain à base de farine blanche n’est pas pris par l’aide alimentaire (« pin canard » car juste bon à donner aux canards) faisant écho à la sélection de pains spéciaux par les acteurs du recyclage alimentaire, que ce soit en microbrasserie (pain aux céréales) ou en biscuiterie (filière biologique). Ceci implique (i) qu’il conviendrait de ne pas dissocier ces deux valorisations car possiblement « en compétition » pour la même matière, (ii) que le pain blanc pourrait être valorisé au travers d’une filière basse (alimentation animale, ou bioraffinerie ?) sans compétition pour la ressource avec l’alimentation humaine.
    • La production Boulangerie, Viennoiserie et Patisserie (BVP) semi-industrielle ou industrielle (4 enquêtes sur Rennes Métropole) valorise de manière privilégiée vers l’aide alimentaire et l’alimentation animale ; la collecte biodéchets est mobilisée en alternative. Ces acteurs sont tous intéressés par le recyclage alimentaire (en boucle fermée ou pas), mais n’ont pas passé le pas (au stade de tests tout au plus). La différence avec la GMS pour l’aide alimentaire s’expliquerait par la nature de l’écart (écart de production disponible dès le matin du jour de production versus surplus de fin de journée disponible le lendemain).
    • Un métabolisme territorial a été ébauché sur Rennes Métropole pour les boulangeries artisanales (Figure 1).Sous réserve de confirmation, un flux significatif lié à la prévention (~20% au total) a été révélé par cette analyse et le portefeuille de valorisation semble différent en zone rurale (peu de passage d’associations pour l’aide alimentaire et plus de « troc »). Il est envisagé de compléter ce travail dans le projet ANR « µCOSMOS ».

Fiche du projet

Acteurs du projet

Coordination

Tiphaine LUCASUR OPAALE , département TRANSFORMtiphaine.lucas@inrae.fr

Structures INRAE

Département TRANSFORM 
UR OPAALEGénie de procédés, appliqué au développement de la structure alvéolaire des produits panifiés ,évaluation environnementale, analyse du cycle de vie, filières territorialisées de gestion des déchets organiques, modélisation spatiale, analyse des flux RIP et déchets, analyse interdisciplinaire du métabolisme territorial, génie des Procédés, appliqué à la valorisation des déchets (effluents d’élevage, boues de stations d’épuration par le passé) par voie biologique, enzymologie microbienne, appliquée à la valorisation des déchets agro-industriels ,analyse des fibres.
Département ACT
UMR SADAPTEcologie territoriale, estimation de flux à partir d’enquêtes ou d’analyse de base de données, analyse interdisciplinaire du métabolisme territorial
Département MICA
UMR BBFAide à la sélection des souches et à la croissance fongique

Voir aussi

Références

  • [1] Guilbert, S., Redlingshöfer, B., Fuentes, C., Gracieux, M. (2016). Systèmes alimentaires urbains : comment réduire les pertes et gaspillages ? Rapport INRA, 89 pages. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01743979
  • [2] Redlingshöfer, B., Barles, S., Weisz, H. (2020). Are waste hierarchies effective in reducing environmental impacts from food waste? A systematic review for OECD countries. Resources, Conservation & Recycling, 156, 104723. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2020.104723
  • [3] INCOME Consulting - AK2C (2016). Pertes et gaspillages alimentaires : l’état des lieux et leur gestion par étapes de la chaîne alimentaire. Rapport commandité par l’ADEME, 164 pages.
  • [4] Juin, H. (2015). Les pertes alimentaires dans la filière Céréales. Innovations Agronomiques 48: 79-96.
  • [5] Roy, C. (2021). Quelles valorisations alimentaires et non alimentaires des rebuts de la filière pain ? Enquêtes et analyses des déterminants territoriaux de mise en oeuvre. Mémoire de fin d’études d'ingénieur d’AGROCAMPUS OUEST, spécialité Gestion de l’Environnement, spécialisation Agriculture Durable et Développement Territorial (ADT), 120 pages.
  • [6] Haroon, S., Vinthan, A., Negron, L., Das, S, Berenjian, A. (2017). Biotechnological Approaches for Production of High Value Compounds from Bread Waste. American Journal of Biochemistry and Biotechnology. 12 (2): 102.109. https://doi.org/10.3844/ajbbsp